Carlo Alberto Pinelli : « Monsieur Mountain Wilderness »

Adaptation d’un texte paru dans le numéro 1/2001 de la revue de Mountain Wilderness Italie.
(Vincent Neirinck, traduction Marie-José Leroy)

 

 

6 juillet 1935. Les astres doivent avoir une disposition particulière : ce jour-là naissent deux personnalités singulières : le Dalaï Lama et Carlo Alberto Pinelli. Le premier est mondialement connu ; c’est de l’autre dont on veut vous parler aujourd’hui. On peut en effet le considérer comme le véritable père de Mountain Wilderness !

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Photo V. Neirinck

Découverte de la montagne
Né à Turin, « Betto » est un enfant sportif. A seize ans, il éprouve un véritable coup de foudre pour la montagne à l’occasion de vacances dans le Val d’Aoste. Il effectue alors ses premières ascensions avec le guide Laurent Grivel, qui l’initiera à un alpinisme conçu comme instrument de connaissance de soi et de la nature. Dans les années qui suivent, il entre à la Scuola nazionale di alpinismo de Rome, où il enseignera pendant trente ans et dont il assumera même la direction.

Alpiniste !
C’est d’abord dans le massif du Mont-Blanc qu’il exerce ses talents, ne dédaignant cependant pas les Dolomites et le Gran Sasso d’Italia. En 1959, il participe à l’expédition « Hindu Kuch-Himalaya », conduite par Fosco Maraini (qui deviendra l’un des garants de MW), et atteint le sommet du Saraghrar (7 350 m). Deuxième coup de foudre, pour les grandes montagnes d’Asie cette fois-ci. Ainsi, entre 1963 et 1975, il organise et dirige six expéditions, privilégiant l’exploration de groupes peu connus de l’Hindu Kuch afghan et pakistanais. Il effectue la première de différents sommets entre 6 000 et 7 000 m, dont le difficile Baba Tangi. Diplômé en Lettres et Histoire de l’art de l’Inde et de l’Asie centrale, il allie souvent, dans ses expéditions, un objectif d’alpinisme et des recherches archéologique et ethno-anthropologique.

L’engagement militant
Entre-temps, en 1968, il est admis au sein du cercle fermé du Club alpin académique italien. Le président d’alors, Ugo Di Vallepiana lui écrit : “ […] Je compte particulièrement sur votre collaboration, surtout en ce qui concerne la défense de la montagne.” C’est assurément le contact extrêmement étroit que Betto a avec les espaces naturels des montagnes qui le mène à militer dans le domaine de l’environnement. Membre d’Italia Nostra, célèbre association écologiste italienne, depuis le début des années 60, il participe à l’élaboration d’une proposition de loi-cadre pour les Parcs nationaux - qui a abouti ! Il est également membre de la Commissione centrale per la protezione della natura alpina depuis sa création (cette commission est le « ministère de l’environnement » du Club alpin italien) ; il en devient président dans les années 80, avant de démissionner avec fracas pour « incompatibilités d’humeur » avec les dirigeants du CAI. En 1986, à l’occasion du bicentenaire de la première ascension du mont Blanc, il rédige, en collaboration avec le CAAI, le Manifesto per il Monte Bianco, dans lequel de nombreux alpinistes parmi les plus célèbres du monde demandent que le massif entier soit protégé et réclament la mise en place d’un Parc international.

La création de Mountain Wilderness
La réflexion engagé sur le problème du Mont-Blanc mène à l’organisation, en 1987, du congrès “ Mountain Wilderness - Les alpinistes du monde entier prennent la défense de la montagne ”, organisé à Biella par la Fondation Sella et le CAAI. Pinelli en est l’un des principaux animateurs. C’est à cette occasion que sont rédigées les Thèses de Biella et que naît l’association Mountain Wilderness. Pinelli est élu garant, et nommé coordinateur international de l’association. A part la parenthèse de 1992 à 1994, durant laquelle c’est François Labande qui s’acquitte de cette tâche, Pinelli occupera ce poste jusqu’à aujourd’hui, avec l’aide irremplaçable de Stefania Benuzzi (voir encadré). En 1990, Pinelli dirige l’expédition « Free K2 », qui débarrassera le deuxième sommet de la planète de tonnes de déchets, cordes fixes, camps d’altitude, abandonnés par les précédentes expéditions. Première expédition de nettoyage, c’est un énorme succès dans le monde entier. MW International signe un accord avec le gouvernement pakistanais en vue d’un contrôle écologique des expéditions. Pinelli est alors chargé d’organiser et de diriger deux cours d’environmental mountaineering, pour les aspirants officiers de liaison pakistanais. De 1997 à 1999, il organise trois cours analogues en Inde. En plus de son action en Himalaya, il est moteur dans les autres grands dossiers de MW : Dolomites Monument du Monde, protection du Mont-Blanc…

Réalisateur
Betto trouve tout de même le temps de travailler, d’abord comme historien d’art oriental et archéologue. Puis il se tourne vers la vulgarisation scientifique et la réalisation de documentaires - dont les treize épisodes de la série Le Alpi di Messner. Aujourd’hui, Pinelli est professeur d’histoire et technique du film documentaire à l’Istituto universitario Suor Orsola Benincasa de Naples.

L’avenir ?
Souhaitant passer la main en temps que coordinateur international de Mountain Wilderness, Pinelli continuera cependant à s’occuper des actions de MW en Himalaya. Il continuera à occuper son poste de coordinateur jusqu’au prochain Bureau international, qui se tiendra dans 6 mois.

Nous avons tenu à lui laisser le mot de la fin. Antoine Van Limburg a recueilli les propos de Carlo Alberto Pinelli lors de la dernière assemblée générale de MW International, fin mai 2002 à Tanay, en Suisse.

Sur l’efficacité de Mountain Wilderness
« L’originalité de Mountain Wilderness, c’est d’avoir créé un lien entre défenseurs de la montagne, écolos et pratiquants. On a fait beaucoup avec peu d’adhérents, peu d’argent. C’est la bataille de « l’épée en bois contre le canon » ; parfois, même, on a gagné ! MW est une petite organisation, mais l’écho est grand ; les gens aiment que MW existe ! Une déception : le nombre d’adhérents devrait être beaucoup plus important. Beaucoup d’adhérents du CAF, du CAI, devraient devenir membres de MW, mais -surtout en Italie- nous sommes perçu comme des sécessionnistes, des « traîtres ». De même avec le WWF, mais la « concurrence entre associations » pose problème. Mountain Wilderness ouvre la voie. Nous sommes experts en matière de montagne, dans la défense de l’environnement et dans le domaines des pratiques, alors que les autres grosses associations ne sont pas aussi pointues. MW sème des idées dans les autres associations, comme la Cipra, qui peuvent les faire vivre car ils ne sont pas perçu comme « hérétiques » comme nous ! Ainsi, le CAI accepte des idées de MW lorsqu’elles transitent par la Cipra ».

Sur les garants internationaux
« C’est Reinhold Messner qui a eu l’idée d’un « club de sages ». Le congrès de Biella a débouché sur une association plus ouverte, mais l’idée de Messner a donné naissance aux garants internationaux ».

Sur les « grands combats »
« L’expédition Free K2 a été une grande réussite. Mais cela a été très compliqué à organiser. Cela nous a pris plus d’un an, avec Fausto De Stefani ». « Nous sommes à l’initiative du Parc international du Mont-Blanc. Plus de 14000 cartes postales ont été envoyées au Ministère de l’environnement italien pour soutenir notre action. L’espace Mont-Blanc a été créé pour empêcher ce Parc international. Le Mont-Blanc est un symbole pour la protection des montagnes. La vision de MW, c’est la combinaison des deux styles de tourismes, passant par la rationalisation de l’offre touristique et le développement d’activités basées sur la connaissance du milieu. La protection du Mont-Blanc : beaucoup de dossiers et peu de choses concrètes. Il est difficile de savoir le futur du Mont-Blanc. Le problème du tunnel a éveillé les consciences des habitants. Les guides et les habitants du Val d’Aoste ont été convaincus de l’importance de leur environnement ». « Dolomites, monument du monde ! Une via ferrata avait été construite sans autorisation. MW a fait un « démontage commando » et l’a annoncé dans une conférence de presse. Il y a eu un procès, mais la décision nous a été favorable.

Sur l’opposition gens des montagnes/ gens des villes « écolos »
« Le Val d’Aoste, qui a toujours été très opposé à MW, commence a se dire que nos positions sont plus valables aujourd’hui que quinze ans en arrière. MW doit donner l’image de la collaboration entre gens des montagnes et gens des villes. Il faut trouver la voie du dialogue entre les montagnards et MW. Nous, alpinistes, avons révolutionné l’image de la montagne ».

 

Un portrait de Carlo Alberto Pinelli ne saurait être complet sans évoquer Stéfania Benuzzi, qui assume le secrétariat de Mountain Wilderness International depuis de longues années.
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 Eté 2003 : Mountain Wilderness International mène une mission en Afghanistan. L'ascension du Noshaq, point culminant du pays, est faite, de manière à marquer la fin d'une période de trente ans de guerre. Les bases sont posées pour la mise en place d'un développement durable du tourisme d'aventure dans l'Hindu Kush afghan.

C'est Carlo Alberto Pinelli qui dirige cette mission.

Le site Internet de l'expé : Oxus 

 

 

Photo Giorgio Gregorio

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