Tintin au pays des volcans !

 

Bernard Amy, garant international


S’il est une caractéristique de Haroun Tazieff dont se souviennent tous ceux qui l’ont connu, c’est qu’il était avant tout un homme d’action. Et il le sera resté tout au long de sa vie, une vie commencée en 1914 à Varsovie et terminée 83 années plus tard en Février 1998 à Paris.

Il était homme d’action au sens noble du terme. Il n’était pas fonceur irréfléchi, se grisant d’action et de mouvement. S’il était partout sur les chemins du monde et des hommes, c’était d’abord parce qu’il était certain que la réflexion et la recherche honnête de la vérité - scientifique, artistique, littéraire, sportive, politique - ne peuvent être purement intellectuelles et ne trouvent leur accomplissement que dans l’action : théoriser, décrire, raconter, mais toujours pour mettre en pratique en véritable homme de terrain. Et une fois dans l’action, il n’oubliait jamais de se souvenir et d’analyser pour mieux comprendre, mieux prévoir, mieux transmettre et aussi souvent pour mieux lutter en toute connaissance de cause.

A ceux qui lui reprochaient amicalement sa sur-activité et sa "bougeotte" incessante - il n’était pas toujours facile de le saisir entre ses départs, ses arrivées, ses réunions multiples et de tous ordres - il répondait qu’il était coureur de volcans, que son histoire en avait décidé ainsi et qu’il fallait s’en accommoder. Mais les volcans n’expliquent pas tout. Ils lui ont assuré notoriété et plaisir scientifique. Mais peut-être n’y aurait-il pas eu les volcans si Haroun Tazieff n’avait pas été d’abord et avant tout un homme de voyage.

Ses carnets de rendez-vous l’attestaient, son existence aura été un seul et perpétuel voyage. Peut-être est-ce parce que cette existence avait commencé par un exil, celui qui le mena avec sa famille de l’Europe de l’Est en Belgique. Il entreprit des études, lorsque débuta la deuxième guerre mondiale. Il entra en résistance, sans doute parce qu’il savait déjà qu’il serait pour toujours un résistant à la violence et aux aveuglements. La fin de la guerre lui permit de terminer son cursus universitaire, et en 1945 il put partir comme géologue ingénieur des mines au Katanga. On sait ce qu’il advint là de sa carrière de géologue : une éruption volcanique à laquelle il eu la chance de pouvoir assister l’orienta vers la volcanologie. Il se laissa faire : il savait que les volcans de la planète ont la remarquable propriété d’être disséminés sur l’ensemble du globe, et que donc, pour l’homme de terrain qu’il voulait continuait d’être, la volcanologie serait pour toujours l’occasion de visiter le monde.

Mais s’il n’a jamais cessé d’être un scientifique, Haroun Tazieff n’a jamais non plus oublié de laisser parler en lui l’homme de conviction généreux et combatif qu’il a été avec toutes ses qualités et les défauts de ses qualités. En sport, il s’est passionné pour un jeu d’équipe, le rugby, et pour l’alpinisme qui suscite de très belles solidarité. Ses engagements politiques ont été trop nombreux pour être énumérés ici. Ce que l’on retiendra, c’est qu’ils ont tous été décidés et assumés le plus loin possible dans le cadre d’une règle première : refuser toutes les compromissions (son intransigeance était connue), fuir les dogmatismes (il sut toujours combattre les dérives dogmatiques des idées pour lesquelles il se battait), lutter contre toutes les formes de malhonnêteté et d’incurie. Dans tous les pays où il fut invité en tant qu’expert en risques naturels, dans les institutions scientifiques, dans les instances gouvernementales dont il fit partie, dans les associations telles que Mountain Wilderness, sur tous les media auxquels il eut accès, partout Haroun Tazieff fut celui qui prit la liberté de dire haut et fort les vérités gênantes et de dénoncer les injustices et les escroqueries. Le plus étonnant est qu’il y réussit jusqu’au bout et malgré ceux qui tentèrent de le faire taire.

Avec Haroun Tazieff disparaît le dernier des quatre mousquetaires qui, en ce milieu de siècle, surent donner un formidable élan à la découverte des derniers espaces d’aventure encore peu connus et à leur diffusion médiatique. Ils comprirent que, contrairement à ce qu’avaient pu laissé croire les grandes explorations géographiques de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème, le temps du monde fini n’était pas encore complètement arrivé. Il y eut Paul-Emile Victor pour les pôles, Jacques-Yves Cousteau pour le monde sous-marin, Gaston Rébuffat pour la haute montagne. Il en fallait un quatrième pour parler de ce qui relie ces trois continents par leurs entrailles-mêmes. Haroun Tazieff s’en chargea comme un grand aventurier. Pour aller visiter ses chers chaudrons du diable, il sut tout faire : naviguer, plonger, ascensionner, explorer des abîmes, affronter les glaces polaires, traverser les forêts vierges et les déserts.

Scientifique et homme de terrain jusque dans les pires conditions : aujourd’hui un personnage de cinéma devenu mythique personnalise ce fantasme de notre civilisation moderne. Avec beaucoup d’avance, Haroun Tazieff su, lui, non pas jouer mais incarner ce personnage et le faire connaître par tous les moyens modernes de diffusion. Dans son style, il n’avait rien d’un Indiana Jones, et d’abord parce qu’il n’aurait jamais accepté de se plier aux exigences de l’imaginaire médiatique. Mais dans les deux cas, c’était la même passion. Le cinéma trouvera sans doute des remplaçants à l’archéologue aventurier venu tout droit des albums de Hergé. On voit mal comment la science pourra trouver un autre "coureur de volcans" qui ait la même extraordinaire capacité qu’avait Haroun Tazieff à dépasser sa science pour être, partout et en toutes circonstances, un véritable acteur politique du monde.

 

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